lundi 27 septembre 2010

Le Grand Départ

J'ai la phobie des départs. Je ne sais pas gérer les adieux. Je me rassure au moins en me disant que le pire est fait et qu'après avoir quitté ces enfants que j'ai appris à aimer, l'étanchité de mon coeur est à l'épreuve de tout.
C'est lors de la petite fête qui fit suite au spectacle amateur, samedi dernier, que j'ai senti la fin s'approcher. Lorsqu'en les regardant danser et rire, j'ai ressenti une grande bouffée d'amour pour eux ; lorsque Jerson a surpris une larme rouler sur ma joue; lorsque j'ai senti sa main serrer la mienne et que je l'ai entendu chuchoter à l'oreille d'Érick: ''Mira, la señorita esta llorando''. (Regarde, la demoiselle pleure).
La fête tirait à sa fin lorsqu'Audrey et Benny ont quitté l'Aldea. Encore assise dans l'escalier à les regarder vivre, je n'avais toujours pas trouvé la force de m'en aller. J'ai préféré m'infliger la peine sévère et leur dire adieu tour à tour, un à un, avant qu'ils ne s'endorment. J'ai soupé avec les garçons de la Casa A. C'est sans doute eux que j'aurais le plus de difficulté à laisser partir. C'est sans doute eux qui, je croyais, auraient le moins de difficulté à me voir partir, le facteur virilité et le facteur orgueil voulant que l'adolescent latino retienne ses larmes, surtout pour une étrangère qui visiblement, n'a plus rien à leur apporter. Nous avons joué une dernière fois de la guitare. Même leurs fausses notes et leurs accords désharmoniques, trop forts et mal faits, sonnaient comme une douce musique à mes oreilles sachant que plus jamais je n'allais devoir les endurer. Ce soir là, je les aurais enduré longtemps. J'ai pourtant du les laisser à leur buya pour aller faire mes aurevoirs à tous les autres.
J'ai commencé par la casa J, où j'ai dis adieu à Ana, Rosa, Pratex, Marcelino, Gustavo et mon beau Alex, qui a le visage déformé, un grand retard mental et une voix trop aigu pour ses 15 ans. Shame à sa mère qui buvait durant sa grossesse et qui lui faisait boire du fort lors de ses premiers mois d'existence. Message subtile à vous, femmes enceintes. Je leur ai remis des photos d'eux derrière lesquelles je leur avais adressé un petit mot...pour ne pas qu'ils oublient.Voyez que j'ai de bien belles ambitions...
Dans la Casa H, c'est à Karen, Jackie, Nicol, Jose Luis et Janeth que j'ai du faire mes aurevoirs. Karen a versé quelques larmes qui comme des aimants, ont fait couler quelques-unes du jampack que j'avais retenu et accumulé tout au long de la journée. Jose Luis m'a demandé ''¿Porque tes vas?'' (Pourquoi tu t'en vas), et je n'ai su quoi répondre. Et à l'heure qu'il est, je ne sais toujours pas quoi répondre à cette traitre question.
Les choses se sont compliquées dans la Casa G, où c'est à la belle Maité que j'ai du dire adieu. À 4 ans, elle ne comprenait pas trop pourquoi je la serrais dans mes bras plus longtemps que d'habitude, plus fort que d'habitude. C'est lorsque sa tante lui a dit que je partais pour toujours qu'à son tour elle m'a serré plus longtemps que d'habitude, plus fort que d'habitude. Aux 3 petits hommes, à Maite, Soledad, Rosemery, Hilda et Gisela, j'ai adressé quelques mots, sous le choc de l'émotion. En me voyant les yeux pleins d'eau, Tia Marisol m'a remercié de leur avoir donné tant d'amour et m'a ordonné de pleurer pour ne pas repartir avec un bobo au coeur. C'est ce que j'ai fait, incapable de garder à l'intérieur toutes ces émotions, celles qui me poussaient encore à m'infliger la peine sévère. La vraie de vraie...
Dans la Casa F, tous dormaient sauf Sandra, Diego et Fernando: deux petits qui s'étaient appropriés une place toute particulière dans mon coeur. Après leur avoir dis aurevoir au moins une demi-heure, je suis sortie et me suis mise à pleurer sur le côté de la maison. J'ai alors entendu la petite voix de Fernando qui voulait que je revienne. Du haut de ses 5 ans, il avait une question de la plus haute importance à me poser. En pointant mon sourire sur la photo de lui et moi que je lui avais offerte, il me dit alors: ''Porque aqui estas feliz...'' il prend alors ma tête entre ses deux petites mains pour enlever les cheveux de mon visage, comme il le fait toujours, avant de continuer sa phrase: ''...y aqui estas triste?''. J'ai mieux fait de le serrer dans mes bras que de lui répondre quoique ce soit qui me ferait pleurer de plus belle. Il a touché une corde sensible avec sa question existentielle.
J'entre ensuite dans la Casa E, où tous savent très bien que c'est la dernière fois que j'y entre. Je leur lis les messages que je leur ai rédigés plus tôt, puis c'est Jonathan qui se met à pleurer le premier, suivi de Pamela, puis de Sandy, puis de Doris. Ils pleurent à chaudes larmes. Je fais de même et nous restons enlacés les uns dans les bras des autres, longtemps, longtemps. Comme pour me consoler, ils m'amènent un à la suite de l'autre leur peluche qu'ils veulent que j'amène avec moi. Comme ils n'en ont chacun qu'une seule, je serre les peluches fort dans mes bras et leur redonne. Ils insistent et je refus en leur prometant que chaque fois qu'ils les prendront dans leur bras, ce sera comme si j'étais là. Ils s'en voient convaincus.Tous le reprennent sauf Pamela qui tient à ce que je garde son ourson. Depuis, je ne le quitte plus, telle une gamine qui cherche du réconfort à travers ses souvenirs. Je suis sortie, encore plus rouge au visage.
Mon coeur déjà en miettes s'apprètait alors à surmonter le plus gros de tous les défis que je n'ai jamais eu à surmonter: faire mes adieux aux garçons de la A, et surtout à Jordin, qui m'arracherait sûrement le coeur une bonne fois pour toutes. J'entre dans la maison. Ils savent qu'une fois sortie, il n'y aura plus de Señorita Mariana pour enseigner les secrets de la guitare, pour chanter à tue-tête et pour se battre à savoir qui d'eux ou de moi ferait la vaiselle. Je sais qu'une fois sortie, il n'y aura plus de petites voix qui m'appelleront ''Señorita Mariana'', plus de guitarre, personne pour chanter à tue-tête et encore moins pour m'empêcher par la force de faire la vaiselle. Je leur demande une dernière faveur: prendre une photo de nous et de ma guitare bleue. Chose dite, chose faite. Le leur dis alors: ''La foto es para que tenga un recuerdo de mi guitarra...Porque ahora esta suya'' (Si j'ai voulu prendre cette photo, c'est pour garder un souvenir de ma guitare, puisque maintenant, elle vous appartient). C'est ce que ca a donné.Et ils se sont tous lancés dans mes bras. Ils ont maintenant un instrument bien à eux que personne ne pourra leur interdire de toucher. Mes sanglots m'empêchent alors de terminer mon discours et en les serrant dans mes bras, je sens alors quelques dos sursauter: Jordin et Jerson sont eux aussi en sanglots. Je prends leur têtes entre mes mains et je vois leurs larmes couler à la même vitesse que les miennes. Je ne sais pas trop si ça me fait encore plus mal ou si je m'en vois rassurée. Puis je vois Miguel qui s'essuie les yeux pour ne pas que je m'en rende compte. Je les serre très, très fort dans mes bras. Il n'y a rien à faire d'autre. Je quitte alors la maison avec Jordin, à qui je voulais absolument parler seul à seul. Je n'ai jamais vu quelqu'un pleurer comme il pleurait. Ce jeune homme cool et fier est maintenant en sanglots, recroquevillé sur lui-même et tout mouillé, pour s'être mis la tête dans l'eau dans le but d'effacer les traces de ses pleurs. On se sert dans les bras l'un de l'autre et je lui offre officiellement ma guitare en lui disant que lorsqu'il aurait de la peine, lorsqu'il vivrait des moments difficiles, le simple fait de jouer lui rappelerait alors que quelqu'un l'aime, même à l'autre bout du monde. Je lui dis que je suis fière de lui, que j'ai confiance en lui et que je sais qu'il saura devenir un grand homme. J'ose même lui dire que je l'aime, me disant à moi-même que ça ne peut que me faire du bien. ''Yo tambien señorita''. C'est sur ces mots que je l'ai regardé retourner vers sa maison, incapable de retenir ses sanglots. Et après deux jours, je ne peut cesser d'y penser et je ne suis pas plus capable de retenir les miens.
J'ai la phobie des départs. Je ne sais gérer les adieux.
Et je peux maintenant affirmer que de toutes les choses que j'ai vécu dans ma vie: c'est ce moment qui m'a convaincu que plus jamais je ne laisserais un enfant pleurer. Et ce, quitte à y rester.

6 commentaires:

  1. Elle en aura fait pleurer des garçons cet été cette señorita Marianita!
    Quelques lecteurs aussi sans doute!

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  2. Bonjour, j’adore votre blog et votre façon de raconter tout ça. Bravo bonne continuation.
    <a href="http://www.aprrednre-guitare.org/>Apprendre la guitare</a>

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  3. Belle Marianne,

    Tous ces petits coeurs vont continuer à vibrer en pensant à toi. Tu auras des belles surprises quand ils seront grands et qu'ils se souviendront encore de la señorita Marianita!

    Gros becs

    Claude

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  4. Eh oui ! t'as aussi fait pleurer ton père!

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  5. Déjà quatre mois depuis votre départ!
    C'est génial, votre blogue, pour garder le contact!
    Quelle sera votre prochaine étape?
    Au plaisir de vous relire très bientôt!
    Antoine

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  6. Chère Marianne,

    J'ai lu ton récit de départ hier soir, et mes larmes ont coulé au même rythme que les tiennes. Tu as un art de raconter extraordinaire et tu nous fais partager tes belles émotions. Je n'ai pas eu le temps de faire un commentaire, car je devais aller écouter un reportage sur les abus sexuels au Collège Notre-Dame. Quel contraste dans le traitement des enfants! Et comme il est précieux, ce flot d'amour que tu as déversé sur les tiens!
    Ce matin, je me suis levé tôt pour t'écrire un commentaire. J'ai relu ton beau texte et les larmes ont coulé à nouveau. Ça va très bien avec ce qu'il fait dehors, puisque nous avons ici une pluie très forte qui tombe depuis hier soir : il y aura sûrement des inondations.
    Merci d'avoir inondé nos coeurs de ton amour pour ces petits, merci de nous faire partager tes émotions et bonne continuation de votre voyage.

    Ton parrain qui t'aime beaucoup,

    Guy

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