jeudi 18 novembre 2010

Le Grand retour

Finalement, j'y suis. Heureusement, j'y resterai. J'ai retrouvé Huancayo hier avec comme première réflexion le fait incontestable que c'est une ville terriblement laide. Après avoir revu tous ceux que j'aime, ma deuxième réflexion fut de me dire que c'est sans doute à mes yeux la plus belle ville du monde. La plus belle ville du monde.
Comme à mon habitude, j'ai débarqué de l'autobus très impatiemment, sachant que Bernabé, ami et directeur de l'organisme, m'attendait à quelques mètres. J'ai été soulagée, rassurée de déposer mes valises dans sa vieille coccinelle orange, de sentir l'odeur du gaz s'échapper par devant et par derrière de l'automobile, d'emprunter les rues principales, de conduire sans permis, puis de faire quelques détours pour éviter la police. D'entendre les klaxons, de mourir de peur dans le trafic. Rassurée de voir que rien n'avait vraiment changé.
En route vers la maison, Bernabé me raconte en détails les évènements des semaines passées. De beaux rêves ; des démarches ; un coup de fil ; une peine d'amour... Il se met à pleurer dans la voiture et met ses lunettes fumées pour que personne ne s'en rende compte. Moi je suis contente d'être arrivée au bon moment: durant la saison des pluies, lorsque tous les employés se sont cassés, lorsque le budget se fait tristounet, durant une peine d'amour...Oui, je suis arrivée au bon moment.
Assomée par l'altitude, grippée par la grippe et exténuée du voyage, la sieste ne me dit rien puisque je n'ai qu'une idée en tête: les enfants. À peine aie-je eu le temps de monter à l'appartement que je redescendais au pas de course, le coeur tout aussi sur les nerfs, prête à vivre la novuelle épopée, à tourner une nouvelle page blanche que j'intitulerais alors Le Grand Retour.
J'arrive à l'orphelinat. Il n'y a personne. Au loin, la directrice m'apercoit. Elle me sert dans ses bras comme si je n'étais jamais vraiment partie, et m'indique le parc, là où se trouvent tous les autres. On saute dans la coccinelle. À travers les barrières, je reconnais quelques visages. Celui de Gladis, de Soledad. Je cherche encore. J'ose à peine avancer tellement j'ai les jambes molles. Je n'aurais jamais cru que quelques morveux pourraient me faire tant d'effet. J'avance lentement, avec tout plein d'appréhension. Je pose un pied sur le petit pont. J'entends: ''SEÑORITA MARIANAAAA!'' Je reconnais tout de suite la voix de Fernando et je vois sa grosse face qui coure vers moi. Tous se retournent d'un bond. Comme si c'était une blague. Ce n'était pas une blague. Ils se sont tous, tous, tous mis à courrir comme des Bendiezs vers moi. Ils ont tous traversé le petit pont, se sont tous jetés dans mes bras en criant mon nom. Tous, sauf un.
Un sourire se dérobe à mes yeux. Je relève la tête du moton d'enfants, bien déterminés à ne plus me laisser partir. En retrait, Jordin est assis sur le rebord d'une muraille et me fixe avec un petit sourire en coin, l'air de comprendre exactement pourquoi je suis revenue; l'air de savoir très, trop pertinemment que je suis revenue pour lui, à cause de lui. J'ai finalement pu m'éclipser pour aller le voir. Ni un mot. Je l'ai pris dans mes bras, il a collé sa tête contre mon coeur et les deux en même temps, on s'est chuchoté notre petit secret à l'oreille, notre petit secret à nous deux: ''Te extrañé'' (Tu m'as manqué). Et c'était tout. Juste assez pour que je sois complètement convaincue que j'avais fait le bon choix. Je suis revenue à Huancayo. Bonne affaire de faite !
Les petits ne m'ont pas lâchés de l'après-midi. Contrairement à mes attentes, ils ne m'ont posé aucune question et se sont contentés de me bombarder de souvenirs. Ils ont relaté la pyjamada, m'ont raconté toutes les histoires qu'on leur avait enseignées. Ils se souvenaient de TOUT. Je crois ne jamais m'être sentie aussi au bon endroit, au bon moment. Lorsque venu le temps de retourner à la maison, tous me demandaient: ''Ya te vas?'' (Tu t'en va déjà?). Question à double tranchant. T'es revenue pour repartir. Tu pars quand ? Je n'ai pas voulu répondre. ''Ya no me voy'' (Je ne m'en vais plus). C'est tout ce que j'ai dit.
Ce matin, j'ai revu tous les autres enfants, ceux qui étaient à l'école la veille. Comme au téléphone arabe, le premier qui m'a vu n'a eu qu'à crier mon nom pour qu'ils sortent tous de leur Et maintenant qu'ils ont vu, ils savent que j'ai tenu ma promesse. Ils savent que je les tiendrai toutes et que la Señorita Mariana est là pour rester.
M.

2 commentaires:

  1. Chère Marianne,

    Je n'avais pas pu te suivre ces derniers jours, étant débordé par mon enseignement. Mais voici que je rouvre ton blogue, et je tombe sur le récit de tes retrouvailles avec les enfants de Huancayo. Quel bonheur! que d'émotions pour toi!
    Et tu racontes si bien! c'est comme si on était là. Alors, j'espère que le plaisir des retrouvailles se prolonge. Je t'embrasse bien fort (et je cours lire les récits antérieurs),

    Ton parrain, Guy

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  2. Comment ça là pour rester ???!!!
    J'ai déjà préparé ta lasagne!
    El padre de senorita Mariana...

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